Les engrais minéraux, un poison invisible sur le climat

juillet 3rd, 2023 | par afriktilgre@
Les engrais minéraux, un poison invisible sur le climat
Agro-pastoral
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Certaines pratiques nuisibles persistent malgré les efforts. Les actions humaines qui perturbent le climat en font partie. C’est notamment le cas de l’épandage d’engrais minéraux, qui a un impact néfaste sur le climat. L’acte est anodin et quotidien chez certains producteurs maraichers à Ouagadougou. Épandre des engrais minéraux pour espérer récolter plus. Mais cet exercice presque banal porte en lui des conséquences graves qui menacent l’équilibre climatique.

Les engrais minéraux continuent d’être un allié pour certains producteurs maraicher. Crédit Photo (CP): @afriktilgre.

Le samedi 27 mai 2023, au barrage de Boulmiougou sur la sortie ouest de la ville de Ouagadougou. A 10 heures, le soleil brûlant illumine le site maraîcher bondé de monde. Les visages des occupants sont couverts de sueur. Pendant que certains récoltent leurs cultures, d’autres utilisent des engrais minéraux pour nourrir leurs plantes. Un jeune maraîcher, d’environ vingt ans, épand ces engrais sur ses planches de salades, de manière désordonnée. Dans un vas et vient incessant entre les planches, presqu’à la volée, il saupoudre d’engrais les jeunes pousses de salade, avec la main droite. Au détour d’une causerie, le jeune maraicher nous fait comprendre que l’objectif recherché dans cette opération rapide d’épandage est de booster la croissance de la salade. Jean Paul Simporé, un maraîcher expérimenté, se désole de cette méthode “anarchique”, qui risque d’endommager les salades.  Avec plus de 30 ans d’expérience sur le site, il est une source précieuse de connaissances dans ce domaine, une véritable bibliothèque vivante en la matière.

Les plus expérimentés sur le site maraicher avouent ne pas cautionner cette manière « désordonnée » d’épandre l’engrais. CP: @afriktilgre

Jean Paul Simporé se souvient qu’il y a trente ans, les engrais minéraux étaient largement utilisés sur le périmètre maraîcher. Aujourd’hui, grâce à des actions de sensibilisation, les occupants ont pris conscience des dangers liés à une utilisation excessive de ces engrais. Ils savent désormais que cela diminue la fertilité des sols à long terme et présente des risques pour la santé. Malgré ces informations inquiétantes, il est difficile pour certains d’abandonner cet nuisible “ingrédient” agricole.

Le producteur maraicher Jean Paul Simporé démontrant comment utiliser les engrais minéraux dans la production de salade. CP: @afriktilgre.

« Ne pas utiliser les engrais minéraux, c’est comme une sauce sans sel. »

« Au Burkina ici, le sol est fatigué. Quand le sol est fatigué, il faut aider le sol pour améliorer les plantes. Utiliser seulement la fumure organique sans les engrais chimiques, ce n’est pas facile. Les cultures ne donnent pas », tente d’expliquer Jean Paul Simporé, lui qui s’y connait en matière de bonnes pratiques d’application des engrais. Il estime que l’utilisation des engrais minéraux, ne serait-ce qu’à petites doses, est indispensable pour espérer récolter.  « Ne pas utiliser les engrais minéraux, c’est comme une sauce sans sel », poursuit-il. Du haut de ses 29 ans de durs labeurs sur le site maraicher de Boulmiougou, Zacharia Zagré s’aligne sur les propos de son collègue. Il milite en faveur d’une utilisation combinée des engrais minéraux et ceux organiques. « Travailler avec l’engrais chimique seulement dégrade le sol. Il faut d’abord utiliser le compost pour nourrir le sol. Apporter ensuite l’engrais chimique pour faire grandir la plante », a-t-il opiné. Si les producteurs maraichers se frottent les mains, ce n’est pas le cas des autres occupants des berges du barrage.

Karim Compaoré, un passionné de la nature, exerce le métier de pépiniériste dans les environs du barrage de Boulmiougou. Cependant, ses émotions oscillent entre la frustration et le désarroi face à la situation de plus en plus alarmante qu’il vit. Les plantes qu’il cultive avec tant d’amour et de soin dépérissent progressivement, laissant derrière elles une triste réalité. « Vous voyez cette plante, elle est morte à cause des engrais minéraux qui ont détruit les éléments nutritifs du sol », nous explique-t-l, mine déconfite.

Le coupable de la mort de ses plants en pépinière, insiste-t-il, est l’utilisation intensive d’engrais minéraux. Ces produits chimiques, répandus par les producteurs maraîchers qui occupent les terres voisines, finissent par lessiver les sols utilisés par Karim pour faire croître ses plants. Ce constat amer le hante depuis déjà six longues années, renforçant sa peine. La terre qui était autrefois fertile et nourricière pour lui se retrouve peu à peu appauvrie et privée des nutriments essentiels. Les conséquences sont tragiques, car les plantes ne parviennent plus à se développer correctement, s’affaiblissent et finissent par succomber. Les espoirs et les rêves de Karim Compaoré, ainsi que son dévouement envers la nature, semblent se heurter à ces « forces toxiques » qui le dépassent. Le désespoir du pépiniériste est grand.

« Cette plante est morte à cause des engrais minéraux qui ont détruit les éléments nutritifs du sol », Karim Compaoré, pépiniériste. CP:@afriktilgre.

La biodiversité en danger.

« L’utilisation des engrais minéraux impacte négativement le climat. D’abord, leur utilisation impacte sur la biodiversité, c’est-à-dire que cela entraine une perte d’un certain nombre d’espèces qui contribuaient à entretenir le sol, à maintenir la fertilité du sol, à maintenir un certain nombre de niveau de rétention du carbone du sol. Ça contribue également à diminuer la souplesse du sol. Ça agrandi le niveau d’appauvrissement des différents sols », précise Aboubacar Lougué, de la Coordination nationale des jeunes pour l’environnement et le climat (CONAJEC). Il invite les producteurs à avoir une utilisation mesurée et raisonnable des engrais minéraux pour ne pas affamer davantage les terres agricoles.

« les engrais minéraux entrainent une perte d’un certain nombre d’espèces qui contribuaient à entretenir le sol.», soutient Aboubacar Lougué, de la Coordination nationale des jeunes pour l’environnement et le climat. CP: @afriktilgre.

Les victimes de ces produits toxiques agricoles sont nombreuses. Karim Compaoré n’est pas un cas isolé.  Comme expliqué plus haut, une utilisation intensive et inappropriée des engrais minéraux porte également atteinte au climat. Mais, affirmer que les engrais minéraux perturbent le climat peut sembler déroutant pour les non-initiés. On vous explique. La fabrication des engrais chimiques suit un processus qui se fait à base de gaz naturel qui est un combustible fossile. La combustion de tout ce qui est combustible fossile est source d’émission de gaz à effet de serre. Et ces gaz à effet de serre sont responsables de l’augmentation de la température et par ricochet des changements climatiques. Si jusque-là vous n’avez pas encore compris, Moïse Sanou, Coordonnateur du projet d’appui à la promotion de la Contribution déterminée au niveau national du Burkina Faso, va vous expliquer comment les engrais minéraux peuvent empoissonner le climat. 

Moïse Sanou explique que les engrais minéraux contiennent de l’oxyde nitreux, un gaz à effet de serre qui a un pouvoir réchauffant 310 fois supérieur à celui du dioxyde de carbone. CP: @afriktilgre.

« Quand on fait l’épandage des engrais chimiques, ce n’est pas toute la quantité qu’on met qui est absorbée par la plante. Une grande partie de l’engrais (plus de la moitié NDLR) est entrainée par les eaux de ruissellement. Ces engrais, entrainés par les eaux de ruissellement, en contact avec l’eau, l’azote qu’on a épandu est transformé en oxyde nitreux. L’oxyde nitreux étant un gaz à effet de serre qui a un pouvoir réchauffant très élevé et son pouvoir de réchauffement ( global (PRG) est estimé à environ 310 fois supérieurs à celui du dioxyde de carbone, qui est le plus connu en matière de gaz à effet de serre », a détaillé Moïse Sanou.

La CDN, pour prendre le taureau climatique par les cornes.

Le Burkina Faso, en tant que pays sahélien enclavé, subit durement les conséquences des gaz à effet de serre. Afin de réduire ces conséquences, le pays a ratifié l’accord de Paris sur le Climat, s’engageant ainsi à prendre des mesures pour lutter contre le changement climatique à travers la Contribution Déterminée au niveau National (CDN).

Mais, c’est quoi la CDN ? Elle est l’ensemble des actions que le Burkina Faso entend mettre en œuvre pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre conformément à l’accord de Paris sur le climat. De l’avis du Coordonnateur du projet d’appui à la promotion de la Contribution déterminée au niveau national du Burkina Faso, il est pertinent pour le pays d’engager des actions parce que, poursuit-il, nous sommes un pays confronté aux conséquences des changements climatiques.

« Nous émettons moins des gaz à effet de serre par rapport aux pays les plus industrialisés. Ce qui fait que dans le cadre de la CDN au Burkina Faso, il y a un volet adaptation qui est inscrit. Ce volet adaptation permet aux différents secteurs de production de pouvoir faire face aux conséquences du changement climatique à travers des pratiques d’adaptation », a dit Moïse Sanou. Ces pratiques d’adaptation peuvent aller de la restauration des terres dégradées à la gestion durable des ressources forestières, la conservation de la ressource eau, la récupération et la valorisation des espaces pastoraux etc.

Le Burkina Faso respecte les exigences de l’accord de Paris. Le premier acquis dont il faut s’en féliciter, selon Moïse Sanou, est le respect par le pays des Hommes intègres des textes en matière de changement climatique. Il cite l’élaboration et la soumission des CDN. « Le Burkina Faso a effectivement respecté les exigences de l’accord de Paris en élaborant une première CDN qui a été soumise en 2015 et une deuxième CDN qui a été élaborée et soumise en 2021, conformément aux exigences de l’accord de Paris », a-t-il indiqué tout en précisant que notre pays fait partie des rares qui a inscrit des actions d’adaptation dans sa CDN.

Les résultats en matière de CDN au Burkina Faso sont satisfaisants.

L’homme au sang chlorophyllé a également rappelé que la mise en œuvre de la première CDN au Burkina Faso, 2015 à 2020, a permis de réduire les émissions de gaz à effet de serre du pays d’environ 7500 gigagrammes de CO2 équivalent pour ce qui est des actions d’atténuation, et d’environ 38 898 gigagrammes de CO2 équivalent pour ce qui est des actions d’adaptation.  « Ces résultats sont satisfaisants quand on sait le contexte sécuritaire difficile que traverse notre pays depuis 2016. Toute chose qui ne facilite pas la mise en œuvre de certaines actions, mais aussi la mobilisation des ressources financières », a poursuivi Moïse Sanou. Sur le terrain des énergies renouvelable, le Burkina Faso développe des projets d’énergie solaire, comme la centrale solaire de Zagtouli inaugurée en 2017 à une quinzaine de kilomètres de la capitale Ouagadougou. Il y a également l’acquisition et installation de 15.000 lampadaires à diode électroluminescente en remplacement des lampadaires hautes pression de sodium, au profit de l’éclairage public.

Retrouvez sur Afriktilgre Tv, le visage caché des engrais minéraux.

Cependant, tout n’est pas rose en matière de CDN. Le Coordonnateur du projet reconnait qu’il y a des efforts à faire en termes de communication pour une meilleure appropriation de la CDN au niveau national. Moïse Sanou invite aussi à une mobilisation accrue des acteurs de la société civile. « Parce qu’il y a beaucoup d’actions menées par ces acteurs de la société civile qui malheureusement ne sont pas capitalisées dans la mise en œuvre de la CDN. Nous pensons que la capitalisation de ces actions peut permettre de rehausser le niveau de la mise en œuvre de notre Contribution déterminée au Burkina Faso », a-t-il soutenu. 

Revenant sur les usages incontrôlés et abusifs des engrais minéraux qui affament nos terres, il suggère à l’État burkinabè de renforcer la sensibilisation sur les causes et les conséquences du changement climatique, mais aussi sur le rôle que les engrais minéraux jouent dans le processus de ces changements climatiques.

Le compost, pour réparer le tort des engrais chimiques.

 Le coordonnateur du projet d’appui à la promotion de la Contribution Déterminée au niveau National préconise que l’État parie plus sur la promotion des pratiques agricoles durables, telles que l’utilisation de fertilisants organiques, la rotation des cultures, l’agroforesterie. La naissance d’une certaine prise de conscience des producteurs vis-à-vis des effets néfastes des engrais minéraux, est un terreau fertile à l’émergence de ces approches écologiques qui peuvent aider à minimiser les émissions de gaz à effet de serre tout en maintenant une productivité agricole durable.

Pour continuer à faire de notre planète un endroit plus vert et plus prospère, le compost à la capacité de réparer le tort causé par les engrais minéraux.  Ce système de production plus durable et respectueux de l’environnement, Martine Sawadogo, Directrice approvisionnement et Département intrants de Bioprotect, a en fait son combat. L’entreprise Bioprotect est réputée dans la production de compost enrichi en trichoderma. Les nombreux éléments nutritifs contenus dans ce type de compost lui permettent d’assurer un développement des plantes en maintenant la fertilité du sol.

Pour Martine Sawadogo, le compost constitue une bouffée d’oxygène pour le climat. CP: @afriktilgre.

En d’autres termes, le compost enrichi en trichoderma qu’elle vulgarise depuis plusieurs années permet d’améliorer la structure du sol, d’améliorer la capacité de rétention d’eau.  Une lutte aussi portée par le Centre d’Études et d’Expérimentations Économiques et Sociales de l’Afrique de l’Ouest – Association Internationale (CESAO-AI) – Burkina Faso et Afrique Verte-Burkina, le consortium qui met en œuvre le projet d’appui à la promotion de la Contribution Déterminée au niveau National du Burkina Faso.

Sougrinoma Ismaël GANSORE

One Comment

  1. Labagnon says:

    Bel article. Espérons que la majorité des producteurs prennent conscience de ce problème et changent de pratique

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