Le monde rural ouest africain s’oppose à toute intervention militaire au Niger (Lettre solennelle)

septembre 5th, 2023 | par afriktilgre@
Le monde rural ouest africain s’oppose à toute intervention militaire au Niger (Lettre solennelle)
Agro-pastoral
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La situation socio-politique au Niger, au lendemain du coup d’etat du 26 juillet 2023, suscite toujours des reactions et pas des moindres. Cette fois-ci ce sont huit réseaux régionaux d’organisations de producteurs et organisations de la société civile rurale qui plaident pour une sortie de crise négociée. Ils se sont adressés au Président de la Republique Fédérale du Nigeria, dans une lettre solennelle dont nous avons obtenus copie.

A

Son Excellence Monsieur Bola Ahmed TINUBU
Président de la République Fédérale du Nigéria
Président de la Conférence des Chefs d’États et de
Gouvernement de la Communauté Économique
des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO)

Abuja, République Fédérale du Nigéria

Objet : Nos points de vue et propositions concernant les mesures de sanctions économiques et l’intervention militaire préconisée au Niger

Excellence Monsieur le Président,

Nous avons l’honneur de nous adresser à vous en nos qualités de présidentes et présidents de réseaux régionaux d’organisations de producteurs et des autres organisations de la société civile rurale, qui regroupent la majorité des producteurs et autres acteurs du secteur Agro-sylvo-pastoral et halieutique dans les 15 pays membres de la CEDEAO, au sujet de la situation très critique du Niger.
Vous avez constaté des manquements profonds à certaines règles de nos Chartes fondamentales nationales et à celle de la CEDEAO et vous avez réagi en appliquant des mesures de sanctions économiques et en préconisant éventuellement une intervention militaire face à ce que vous avez considéré comme une violation inacceptable des constitutions.

Dans ce contexte, nous, réseaux régionaux des acteurs du secteur Agrosylvopastoral et halieutique, et des autres acteurs de la Société Civile Rurale souhaitons vous faire part de nos points de vue et de nos propositions de pistes de solutions, dans le sens de la tradition africaine.
Nous nous opposons fortement à tout manquement des constitutions de nos pays et de nos institutions régionales, et nous sommes pleinement solidaires des opinions qui exigent la bonne gouvernance comme une règle à défendre pour assurer le développement durable dans notre région. Cependant, nous constatons que l’immédiateté, l’ampleur et la sévérité des sanctions économiques ont accru la souffrance et la précarité des producteurs des systèmes agropastoraux et halieutiques familiaux en milieu rural, notamment les femmes et les jeunes, et celles des
acteurs œuvrant pour l’approvisionnement des marchés domestiques. Ces mesures menacent également de manière directe l’issue de la campagne de production agro-sylvo-pastorale et halieutique 2023/2024, alors que déjà, selon les statistiques du PREGEC, le nombre de personnes sous pression alimentaire est passé de 11,4 millions à 27,1 millions de 2020 à 2022
dans la région.

Nos réseaux et nos membres à la base sont fortement attachés et fondent un grand espoir à l’intégration régionale pour laquelle nous nous investissons depuis des décennies maintenant aux côtés de la commission de la CEDEAO et des administrations nationales. Nous déplorons
donc l’intention d’une éventuelle intervention militaire au Niger, qui divise profondément les États membres de la CEDEAO et certaines communautés de la région et menace ainsi la cohésion et la solidarité au sein de notre communauté régionale. Si cette option est mise en œuvre, elle va sans doute engendrer des conflits armés entre des États. Cela est inadmissible et
intolérable dans la conscience et la perception de nos communautés rurales et selon nos voix traditionnelles de gestion des conflits. Pour quelques raisons que ce soit, les armées ouest-africaines ne devraient aucunement s’affronter.

En outre, l’histoire des interventions militaires extérieures démontre à souhait que la paix ne s’obtient jamais au bout de ces opérations commandées. Bien pires, ces interventions, comme celle effectuée en Lybie proche de chez nous, ont fondamentalement été porteuses de déstabilisation et de renforcement des groupes terroristes armés incontrôlables. Notre région devrait tirer largement des enseignements sur les conséquences de la guerre en Lybie qui est principalement à la base de l’implantation des groupes armés au Sahel.
Par ailleurs, il convient de noter qu’il y a dans le contexte actuel de notre région des enjeux clés qui influencent amplement la compréhension et les comportements des populations et il faut les prendre sérieusement en compte pour bien ajuster les mesures et solutions qui sont proposées
face aux défis que nous rencontrons.

S’il est communément acté que des élections transparentes et inclusives aboutissent inéluctablement à la mise en place et au fonctionnement d’une gouvernance légitime dans les pays, il reste que cette conviction est encore insuffisamment partagée et exige un combat de longue haleine pour qu’elle soit une règle d’or intangible et acceptée par toutes les couches sociales de notre région. Aujourd’hui, dans notre région et malgré les efforts des pouvoirs publics, le contexte d’insécurité, de pauvreté et de vulnérabilité grandissantes conduit à des mouvements de revendication des citoyens qui ne demandent qu’une amélioration immédiate et à court terme de leurs conditions de vie. L’ouverture accélérée de nos pays à la faveur de la
mondialisation, l’explosion des médias sociaux et la consécration du multipartisme intégrale multiplicité, se présentent comme des facteurs amplificateurs des mouvements et revendications, favorisant en même temps des confusions faisant que les vérités et ce qui est possible sont peu audibles. L’accélération des changements climatiques, pour lesquels nous
avons toujours interpellé nos dirigeants, met à rude épreuve les écosystèmes fragiles et la mobilité des populations, entravant ainsi les acquis communautaires concernant la libre circulation des biens et des personnes.

Face à cette situation difficile, triste et regrettable qui sévit dans notre région et qui affecte, en premier lieu, nos membres à la base, nous, réseaux régionaux de producteurs du secteur agro-sylvo-pastoral et halieutique et des autres organisations de la société civile rurale faisons les propositions ci-après comme contribution positive à vos décisions :

Nous encourageons fortement la CEDEAO à exclure toute intention d’intervention militaire. L’option diplomatique et concertée est la plus appropriée pour le dénouement heureux pacifique de la crise.

Nous proposons à la commission de la CEDEAO, l’organisation dans un délai
opportun, d’un grand forum régional de consultation des différents groupes d’acteurs
, pour revisiter la charte de Commission et explorer des voies pertinentes permettant d’aller rapidement vers la CEDEAO des peuples, afin de restaurer et/ou renforcer la solidarité, la cohésion sociale, le sentiment d’appartenance et le vivre ensemble dans notre région.
En tant que réseaux régionaux des producteurs et des organisations de la société civile rurale, nous vous réitérons notre invitation et nos encouragements à adopter la voie diplomatique pour le règlement des différents conflits sociopolitiques, dont celui du Niger.

Nous vous signifions notre engagement à mobiliser nos réseaux et leurs membres dans les 15 pays de la CEDEAO. pour contribuer à la recherche de solutions durables aux multiples crises qui sévissent au sein de notre communauté régionale.
Ont signé :

  • Ibrahima COULIBALY pour le Réseau des Organisations Paysannes et des Producteurs Agricoles de l’Afrique de l’Ouest (ROPPA)
  • Amadou Hamdoum DICKO pour l’Association pour la Promotion de l’Elevage au Sahel et en Savane (APESS)
  • Boureima DODO pour le Réseau Billital Maroobé (RBM)
  • Soumaïla SANOU pour le Réseau Ouest Africain des Céréaliers (ROAC)
  • Ken UKAOHA pour la National Association of Nigerian Traders (NANTS)
  • Alhaji Muhammadu BELLO pour la Confederation of Traditional Stock Breeders Organisations (CORET)
  • El Hadj SALAMI Nassiru ALASOADUA pour Association Ouest Africaine pour le Commerce Transfrontalier, en Agro-foresterie-pastorale, produits halieutiques et Alimentaires (AOCTAH/WACTAF)
  • Issaka SAWADOGO pour la Confédération des Fédérations Nationales de la Filière Bétail et Viande d’Afrique de l’Ouest (COFENABVI-AO).
  • Ampliations :
  • Ministres statuaires CEDEAO
  • Parlement de la CEDEAO
  • Secrétariat de l’Union Africaine

Afriktilgre

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