« La crise climatique et la crise sécuritaire sont deux facteurs indissociables » : Issaka Ouédraogo du Fonds Vert Climat

mai 9th, 2022 | par afriktilgre@
« La crise climatique et la crise sécuritaire sont deux facteurs indissociables » : Issaka Ouédraogo du Fonds Vert Climat
Le fil vert
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Pour vous, Afriktilgre a rencontré le mardi 12 avril 2022 Issaka Ouédraogo, Autorité Nationale Désignée (AND) du Fonds Vert pour le Climat au Burkina Faso. Avec lui, nous avons passé aux peignes fins le système de fonctionnement de l’institution qu’il représente au pays des Hommes intègres, et abordé quelques questions liées à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, et la lutte en faveur d’une justice climatique. Nous vous proposons l’intégralité de l’entretien dans les lignes suivantes. Lisez plutôt.

Afriktilgre : En quoi consiste le travail du Fonds Vert pour le climat au Burkina?

Issaka Ouédraogo : Il s’agit d’accompagner les différents acteurs, à savoir l’administration publique y compris les collectivités territoriales, le secteur privé, les ONG et les associations à aller à la mobilisation de la finance climat au niveau international et précisément au niveau des guichets  du Fonds Vert pour le Climat. C’est de les accompagner à développer des projets robustes qui adressent les questions de changement climatique et à soumettre ces projets au niveau du fonds vert pour recevoir les financements.

Comment fonctionne le Fonds Vert pour le Climat (FVC), en termes de structuration?

Nous représentons la partie nationale du fonds au Burkina Faso. Sa structuration remonte jusqu’au niveau international parce que le fonds vert climat est un mécanisme financier de la Convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques. Un mécanisme créé en 2010 pour financer les actions d’adaptation et d’atténuation aux changements climatiques. Son siège est à Séoul en Corée du Sud et c’est cet organisme qui mobilise les financements à l’échelle monde pour les irradier dans les projets et programmes dans les pays en développement. De l’architecture internationale, chaque pays a l’obligation de mettre en place une AND( Autorité Nationale Désignée) qui peut être le point focal en fonction des pays et coordonne la relation avec le niveau international en tant que point d’entrée des informations sur le fonds et le point de sortie des projets pays devant être soumis au fonds pour mobiliser les ressources.

Le secrétariat exécutif du Fonds Vert pour le Climat au Burkina Faso est logé à la primature.

Comment procéder pour bénéficier des financements au niveau du fonds vert?

Pour bénéficier du financement du fonds vert, il faut soumettre des projets au mécanisme international dont relève le fonds, afin de lever des financements. Uniquement des projets d’adaptation et d’atténuation. Atténuation parce que cela va permettre de réduire ou d’éviter les effets des émissions des gaz à effet de serre (l’énergie solaire ou de foresterie par exemple). Adaptation pour permettre d’adresser des problèmes climatiques que vivent les populations, celles étant soumises déjà à des problématiques liées au climat, telles la raréfaction des ressources de subsistances impactées par le climat. Si le lien du problème avec le climat est établi, on peut développer un projet pour résoudre ces problèmes. Et, un projet peut être à cheval entre atténuation et adaptation, l’essentiel c’est qu’il ait un volet climatique pour être soumis au niveau du Fonds Vert pour le  Climat. Après cette phase, si le projet est retenu, il faut développer une note conceptuelle de projet selon le canevas du fonds en renseignant les différents critères contenus dans la note pour obtenir l’avis du fonds, avant de développer le document de projet permettant de bénéficier du financement.

Mais le projet passe absolument par l’AND avant d’arriver au fonds vert, cela en vue de vérifier sa cohérence  en matière de priorités dans la lutte contre les changements climatiques, son alignement par rapport aux conditions nationales et au référentiel national de développement ou par rapport à des aspects de politiques nationales. Si l’AND s’assure que le projet s’aligne et s’intègre dans les documents de planification et répond aux priorités nationales en matière de lutte contre les changements climatiques, on délivre la lettre de non objection et l’entité accréditée concilie la documentation avec la note conceptuelle et la lettre de non objection et les soumet au fonds vert climat pour l’obtention des financements en vue de l’implémentation du projet au niveau national. Le porteur de projet ne soumet pas lui-même le projet au fonds, il passe par une entité accréditée ou structure bénéficiant de la confiance du fonds vert pour gérer ses ressources de manière déléguée dans les pays concernés.

Lire ici les conditions pour bénéficier d’un financement du Fonds Vert pour le Climat.

Une petite association ou structure de petite taille peut-elle être éligible au Fonds Vert Climat?

Il y a quatre groupes d’acteurs éligibles au Fonds Vert pour le Climat, dont les ONG et les associations que vous mentionnez, mais auront-elles les capacités de gestions suffisantes des financements? Au niveau du fonds, les micro-projets sont financés à hauteur de 10 millions de dollars, soit environ 5 milliards de F CFA. Il n’est donc pas permis à n’importe quelle structure d’obtenir directement le financement du fonds vert. Toutefois, il y a la possibilité pour des structures de collaborer dans le cadre d’un projet, en fonction de leurs expériences de mobilisation des financements, pour que leur projet soit éligible. Ces structures interviennent sur le projet au niveau national, chacun en fonction de son rôle et l’arrangement institutionnel du projet définit le rôle de chacune d’elles.

Au Burkina Faso, combien de projets ont déjà bénéficié de financements du Fonds Vert pour le Climat et pour quel montant ?

Si un projet atteint un certain niveau de maturité, après avoir passé toutes les étapes techniques, il est approuvé par le conseil d’administration qui se réunit trois fois dans l’année. Un projet approuvé équivaut à un financement acquis pour le pays. Au terme du dernier conseil d’administration qui a eu lieu il y a une semaine, le Burkina Faso se retrouve avec dix projets approuvés. Le programme hydrométéorologique africain en cours au ministère des Transports est de loin celui qui a bénéficié de financements décaissés du fonds vert. Les autres projets sont approuvés et les accords de financement en cours de signature en vue de leur exécution au niveau pays.

L’information climatique est capitale pour toute planification en matière d’adaptation et de résilience.

Quel est l’impact du projet hydrométéorologique à ce jour ?

C’est récent, ce qui est sur le terrain. l’ANAM ( Agence National de Météorologie) fait un travail extraordinaire, mais les moyens nécessaires pour le maillage du territoire sont colossaux et le projet hydrométéorologique vient y contribuer. L’information climatique est capitale pour toute planification en matière d’adaptation et de résilience et permet d’affiner le travail sur le terrain, surtout dans le secteur rural. Ce qui est important déjà, c’est que ça renforce le système d’information climatique au niveau national, ce qui est capital en matière d’adaptation et de résilience. Il est difficile d’évaluer l’impact du projet, mais en termes de résultat immédiat, il y a une synergie qui nait sur le terrain entre les différents intervenants que sont le ministère de l’Eau, le ministère de l’Environnement, de l’Agriculture… ce qui permet d’aborder avec sérénité la question de la résilience climatique et des émissions de gaz à effet de serre.

Le changement de régime au Burkina Faso et les attaques terroristes influencent-ils vos capacités de mobilisation des ressources?

C’est évident qu’une situation sociopolitique influence le cours normal des activités et la mise en œuvre des projets climatiques n’échappe pas à cette réalité. Même si nous nous efforçons à mobiliser les ressources pour  accompagner les acteurs, il faut que tout cela se passe dans un environnement sécurisé, stable qui permet les investissements. Il ne faut pas se leurrer, certaines zones restent difficile d’accès ne serait-ce que pour la réalisation des études pour soutenir le document de projet à soumettre au niveau du fonds vert climat. Il y a donc un blocage matériel sur le terrain qui empêche le développement des projets sur certaines parties du territoire, et dans certaines zones, mêmes s’il y a de la ressource disponible, le projet climat reste irréalisable et certains acteurs n’arrivent pas à travailler. Une amélioration du climat sécuritaire améliorera les interventions, l’instabilité sécuritaire joue sur la mobilisation des ressources. La crise climatique et la crise sécuritaire ne sont pas deux facteurs entièrement dissociables, parce que qui parle de climat parle de l’amenuisement des ressources pour les communautés. Et quand les ressources deviennent rares, les rivalités augmentent. Qui parle de rivalités parle de conflits qui peuvent être récupérées dans d’autres contextes. Nous travaillons malgré la situation, nous avons même actualisé un guide d’implémentation des projets dans les territoires fragiles, pour comprendre comment les acteurs travaillent en zones difficiles.

Le 15 avril 2022, le secrétariat exécutif du Fonds Vert pour le Climat au Burkina Faso a réuni plusieurs acteurs du monde du développement, pour valider un guide de conception et d’implémentation de projets dans les zones fragiles du pays des Hommes intègres.

La promesse des pays riches de doubler leur financement à la COP 26 n’est-elle pas un piège pour les pays pauvres?

A côté de ces promesses, il y’a des engagements en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. La Convention exige que les pays voient leurs ambitions à la hausse en matière d’engagement.  Je parle plutôt de respect des engagements que de pièges. On doit continuer les négociations pour que les promesses faites par les pays riches soient tenues pour réaliser la justice climatique. C’est une question de responsabilité commune et différenciée, la question de changement climatique. Cela permet aux  pays moins pollueurs de bénéficier de ces financements, afin d’avoir une trajectoire de développement sobre en carbone, capable de contenir la température à 2°C, avec des efforts à 1,5°C, comme le prévoient les Accords de Paris.

Le Burkina fait-il partie du pacte de Glasgow qui promeut la transition climatique?

Je ne pense pas que le Burkina soit partie prenante à des initiatives internationales du genre. Je n’ai pas connaissance d’un engagement officiel du pays à matérialiser son adhésion à une telle initiative. Dans la sous-région, l’initiative lancée par les Chefs d’Etat du G5 Sahel est une initiative qui a permis avec la BAD d’approuver un projet multi-pays au niveau du (FVC) qui profitera au Burkina, en termes d’opportunités d’ensoleillement au Sahel et aidera à réduire le gap énergétique auquel fait face notre pays et les autres pays du Sahel.

Est-ce une opportunité pour le Burkina Faso de ne pas être engagé dans ce réseau?

Tant que des initiatives peuvent soulager les peines des populations en matière de climat, c’est louable. Mais le ministère en charge de l’énergie est l’entité la mieux indiquée pour se prononcer sur la question et peut apprécier l’engagement ou pas du pays dans les réseaux ou initiatives.

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La jeunesse vivrait des conséquences plus dramatiques du climat si rien n’est fait

Quelle appréciation faites-vous du combat des jeunes acteurs et des OSC en faveur de la justice climatique au Burkina Faso ?

Tout ce qui sous-tend les efforts de négociation, le mot porté par les PMA relève de la question de justice climatique. C’est effectivement cela la base des négociations de nos pays. Si une voix jeune porte ce combat, c’est intéressant car c’est une mémoire en construction sur le long terme. C’est intéressant que ce soit porté par les jeunes. S’il y a une telle conscience, on saura atteindre des résultats plus importants. C’est intéressant que la jeunesse titille les leaders mondiaux pour qu’ils nous lèguent une planète telle qu’ils l’ont trouvée, à défaut d’une planète meilleure. C’est cette jeunesse qui vivrait des conséquences plus dramatiques du climat si rien n’est fait.

Ces jeunes peuvent-ils espérer un appui de votre part?

Pas de lignes de financement exclusivement dédiées au financement d’activités de jeunes au (FVC), mais la question du climat n’épargne personne. Lorsque nous sommes sollicités au (FVC) par des groupes de jeunes qui portent leur voix sur les questions de climat, il y a une disponibilité technique à accompagner tous les acteurs au niveau national, à partager notre expertise sur le climat, les renforcements de capacités avec eux et à les aider à prendre le relais pour le combat en faveur de la résilience des communautés et pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre, pour une planète saine.

Propos recueillis par Sougrinoma Ismaël GANSORE

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