Le Burkina Faso est un grand utilisateur de pesticides. Plus de 5 000 tonnes déversées chaque année dans les champs. Des chiffres officiels qui sont en deçà des quantités phénoménales de ce type de produit en circulation sur le marché noir de la contrebande et dont l’usage incontrôlé transforme nos assiettes en véritables dépotoirs chimiques parfois mortels comme ce fut le cas il y a quelque mois de cela.
Nous sommes à Sankar-Yaaré, marché atypique au cœur d’un vieux quartier de Ouagadougou : Dapoya. C’est la Mecque des produits chimiques agricoles qui s’étendent à perte de vue et se négocient à visage découvert. Bien que la commercialisation des pesticides soit soumise à une autorisation préalable, l’agrément de vente est vu comme un sujet toxique, c’est le cas de le dire. C’est donc en toute connaissance de cause que nous abordons la question.
Malgré nos précautions, difficile d’aborder le sujet qui dérange. Après une première tentative infructueuse avec un revendeur, cap sur un autre étal. Une boutique de fortune de pesticides entourée de vendeuses de « restaurants par terre ». Dans la minuscule pièce dépourvue du moindre système d’aération sont stockés pêle-mêle des produits chimiques de toutes sortes. Les uns pour lutter contre les parasites du coton, les autres pour éliminer les insectes nuisibles au maïs, choux, concombres, etc.
Dès que nous franchissons le
seuil de la porte, nous sommes accueillis par une odeur âcre à faire rendre les
boyaux aux non-habitués. Dans cette atmosphère étouffante, un commerçant est
pourtant bien installé dans sa maisonnette. Son visage ruisselle de sueur que
le morceau de tapis dont il se sert comme éventail ne peut rien contre.
Pour le client que nous nous sommes fait passer, il nous propose un produit sur
lequel il ne tarit pas d’éloges : « Ça c’est très efficace. Il tue les insectes
sur le champ », insiste-t-il. Comme ici, partout au Burkina Faso, les substances chimiques destinées à éliminer
les parasites animaux et végétaux sont très à la mode. Elles sont omniprésentes
dans toute la chaîne de production alimentaire.
Sur les rives du barrage de Tanghin, Salam Tiendrébéogo, depuis une dizaine d’années tire sa pitance quotidienne du maraîchage. L’odeur de sulfure empeste sa parcelle de culture sur laquelle s’amoncellent des emballages et de contenants vides. Ce jour-là, beaucoup d’autres maraîchers sont en plein arrosage de leurs planches. Salam, lui, est préoccupé par le repiquage de pieds de salade. Il se procure les pesticides au marché de Sankar-yaaré et utilise un objet de mesure de fortune. Pour un pulvérisateur d’une capacité de 15 litres, il y déverse le contenu de son doseur de fortune également, raconte-t-il. Sur le périmètre maraîcher, peu de personnes ont eu droit à une formation sur la manipulation de ces produits mortels. « Avant, il y avait un monsieur qui venait nous sensibiliser à l’utilisation de ces produits. Mais, depuis plusieurs années, il ne plane plus ici. Donc, tout nouvel exploitant sur le site prend conseil auprès des anciens qui ne sont pas forcément des utilisateurs avertis », regrette-t-il, un brin amer. Comme lui, ils sont nombreux, commerçants et producteurs burkinabè qui, par manque d’encadrement et de sensibilisation, manipulent les produits mortels sans un minimum de protection. Conséquence : les champs et les berges des plans d’eau sont inondés de substances nocives qui finissent par se retrouver dans nos assiettes. Et leurs effets sont souvent aussi foudroyants que ravageuses. On a encore en mémoire le drame survenu le 1er septembre 2019 à Didyr où 13 personnes d’une même famille ont trouvé la mort après consommation d’aliments contaminés aux pesticides. Quelques jours seulement après, soit le 9 septembre, la mort venait encore de frapper Nayamtenga, dans la province du Kouritenga où cinq autres personnes ont succombé dans les mêmes circonstances. « A Dydir, les investigations ont été faites sur les prélèvements de produits biologiques comme le sang, les urines. On a trouvé un taux anormalement élevé de pesticides. Dans les aliments consommés également, il y avait un taux anormalement élevé de pesticides », a, en effet confirmé le ministre de la Santé, Claudine Lougué, lors d’un point de presse en date du 11 septembre 2019. C’est dire que la psychose s’est installée, depuis, chez les consommateurs qui ne savent plus à quelle culture potagère se vouer.
Se méfier des légumes qui ne présentent aucune tâche
« Cela crée actuellement beaucoup
de dégâts dans la population. C’est vraiment une crainte. Aujourd’hui, les
pesticides sont utilisés dans presque tout ce qui est cultivé. Même si on a un
petit potager, on se contente d’utiliser les pesticides. C’est un véritable
danger parce que tout est fait à base des produits chimiques », s’inquiète
Kouraogo Zackaria, spécialiste en renforcement des capacités en intrants
agricoles évoluant dans le privé. Il déplore aussi l’épandage des produits
inadaptés dans la production de légumes. « La plupart des produits maraîchers
qu’on trouve aujourd’hui sur le marché sont traités avec des pesticides qui ne
sont généralement pas adaptés. Par exemple, je constate malheureusement que les
insecticides coton sont utilisés dans le maraîchage. Pourtant, ce produit coton
à un délai de rémanence très long alors qu’au niveau de la culture maraîchère,
on a juste besoin d’une semaine ou trois pour récolter les légumes qui se
retrouvent ensuite dans nos assiettes », poursuit notre spécialiste, Zackaria
Kouraogo, mine craintive du danger immédiat ou latent que cela provoque pour
notre organisme. Fin connaisseur du sujet, il conseille de se méfier comme la peste,
les légumes trop « nickels » car trop beaux pour être sains. « J’ai suivi
beaucoup de formations et j’ai une idée du danger. Quand ma femme va au marché
je lui déconseille les feuilles de légumes qui n’ont aucune tâche. Je lui
conseille de toujours acheter les feuilles qui sont perforées. Là au moins, tu
sais qu’elles n’ont pas été traitées aux pesticides. Les feuilles qui sont
perforées, les fruits qui sont un peu tachetés sont ceux qui ne contiennent pas
les résidus des pesticides élevés. Je donne aussi ce conseil aux familles amis
», nous a-t-il révélé. Des recommandations corroborées par le chef de service
des pesticides à la direction de la protection des Végétaux et du
Conditionnement, Manoé René Sanou.
Lors d’une formation initiée le 25 octobre 2019 par le ministère de
l’Agriculture et des Aménagements hydro-agricoles au profit d’une trentaine de
journalistes burkinabè, il affirme que tout légume qui n’a pas été touché par
un insecte est impropre à la consommation humaine. Selon ses explications, la
nocivité du légume traité aux pesticides fait fuir les mouches. Comme quoi le
beau n’est pas toujours bon pour la santé. En observant un certain nombre de
consignes d’hygiène, le spécialiste de la protection des végétaux soutient que
le consommateur évitera de mettre sa santé en danger. Il conseille de
soigneusement laver les fruits et légumes au savon et à l’eau de javel avant
toute consommation. Cette même précaution, insiste-t-il, doit s’appliquer aux
produits exotiques qui ne sont pas exempts de résidus de pesticides dangereux.
« Il n’y a pas assez de contrôle de qualité (analyse des résidus de pesticides
pour voir si cela ne dépasse pas la limite maximale de résidus (LMR) avant
toute autorisation de vente et il y a des risques d’ingérer des doses élevées
de pesticides qui vont nous créer des maladies chroniques », prévient Manoé
René Sanou.
Nos frontières, de véritables passoires
Les pesticides ont toujours été utilisés au Burkina Faso. Mais ce n’est seulement que le 15 mai 2017 que l’Etat a voté une loi portant contrôle et gestion de ces produits chimiques. Cette disposition censée améliorer la surveillance et la lutte contre les produits frauduleux n’a pas encore produit ses effets. Sur le terrain, la contrebande a toujours la vie dure. La faute à nos frontières qui sont de véritables passoires. « La porosité de nos frontières fait que certains distributeurs arrivent à contourner le dispositif de contrôle mis en place », reconnaît Manoé René Sanou. L’insuffisance de contrôles inopinés à l’intérieur du pays, la faible application de la règlementation et des sanctions administratives ou judiciaires lors d’infractions aux dispositions de la loi, sont, relate-t-il, d’autres raisons de la présence massive de ces produits non agréés sur le territoire national. Signalons que depuis l’entrée en vigueur de la loi, aucun contrevenant n’a subi sa rigueur.
La fertilité masculine en prend un coup.
Chez l’homme, les effets de l’ingestion de pesticides peuvent être immédiats. Il s’agit là d’une intoxication aigüe qui peut être fatale en cas de contamination à forte dose. Elle se manifeste par des maux de tête, vertiges, maux de ventres, etc. L’intoxication peut aussi être chronique. Elle survient avec de petite quantité de doses de pesticides qu’on « consomme » pendant plusieurs années. Ce qui, à la longue, est à la base de nombreuses maladies chroniques telles que le cancer. L’autre conséquence des produits phytosanitaires, selon le chef de service pesticides de la DGPV, reste la diminution de la fertilité masculine. Du reste, selon une étude publiée sur Human Reproduction, une revue spécialisée, les hommes consommant des fruits et légumes chargés en pesticides ont des spermes de moindre qualité. Pour les besoins de l’étude, 333 échantillons de sperme provenant d’hommes âgés de 18 à 55 ans ont été analysés entre 2012 et 2017. Selon les conclusions de cette revue, les hommes qui consomment des aliments contaminés ont un nombre de spermatozoïdes inférieur de 49% par rapport aux autres qui en consomment moins.
Comment identifier un produit certifié ?
Une tripotée de pesticides est éparpillée sur le marché. Le plus souvent, le producteur non averti peine à différencier la bonne graine de l’ivraie. Une astuce pour se tirer d’affaire. Les licites sont essentiellement caractérisés par une étiquette rédigée en français, un numéro d’homologation se terminant par APV ou Sahel, la présence d’une bande toxicologique selon les normes de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la date de fabrication et de préemption. Rappelons que l’étiquette est le moyen de communication entre le fabricant et l’acheteur ou l’utilisateur. Elle comporte une mine d’informations indispensables à une bonne utilisation des antiparasitaires.
Il est temps de prendre le taureau par les cornes ?
Symbole d’une agriculture industrielle destructrice, les pesticides empoissonnent la terre, l’eau, l’air, tuent les polinisateurs et nuisent gravement à la santé humaine et animale. Dans le monde, près de 200 000 personnes trouvent la mort chaque année du fait des produits chimiques utilisés dans l’agriculture. A cause de leurs effets dévastateurs mais aussi de leur utilisation en constante augmentation, ils ne cessent de faire la Une de l’actualité. En France, le glyphosate est au cœur des débats. Cet herbicide, le plus vendu au monde, est classé comme potentiellement cancérigène. Pour cette raison, et sous la pression de certains agriculteurs, le gouvernement français veut son interdiction totale en 2023. Le Togo a, à travers un arrêté du ministre de l’Agriculture du 19 décembre 2019, interdit l’importation, la commercialisation et l’utilisation du glyphosate et tout produit le contenant. Une décision qui n’est pas près de faire tache d’huile au Burkina Faso qui paraît comme un dépotoir des pesticides déclassés en Europe et autres pays développés. D’ailleurs, notre confrère Le Monde Afrique, dans une parution récente, a titré : « L’Afrique risque de devenir un déversoir pour les pesticides bannis d’Europe ». Il est temps pour nos gouvernants de s’attaquer sérieusement au problème en refusant les cadeaux empoisonnés des multinationales.
Hadepte DA