[Entretien]: Si je suis devant une autorité qui ne fait pas ce qu’il faut, je vais lui dire la vérité: Francois Traoré leader paysan

novembre 23rd, 2022 | par afriktilgre@
[Entretien]: Si je suis devant une autorité qui ne fait pas ce qu’il faut, je vais lui dire la vérité: Francois Traoré leader paysan
Agri-innove
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A 70 ans, Francois Traoré, premier président de l’Union Nationale des Producteurs de Coton du Burkina (UNPCB), reste actif dans le monde paysan. Il donne constamment ses avis sur l’évolution du secteur agricole au Burkina Faso. Le vendredi18 novembre 2022, nous l’avons rencontré à Ouagadougou. Le temps d’une interview, l’homme a livré son analyse du nouveau plan opérationnel d’appui à la campagne agricole de saison sèche 2022-2023, adopté courant novembre par le gouvernement Burkinabè. Francois Traoré s’est prononcé aussi sur des sujets brulants au pays des “Hommes Intègres”. Lisez plutot!

Afriktilgre: À quoi Monsieur Traoré s’occupe actuellement

Francois Traoré: Je suis toujours agriculteur, sauf qu’à 70 ans ce sont mes enfants qui font le gros du travail. Moi, je suis souvent là-bas, mais je souhaite qu’ils prennent les responsabilités. Chaque fois je dois tout faire pour me rassurer qu’ils sont sur la bonne voie et me rassurer que même un jour, sans moi ils pourront continuer. Pour le moment, à mon avis ça tourne bien. Ils font le boulot. Ils le font même mieux que moi. Je vous informe que moi j’ai cultivé à la main et avec les animaux par la suite. Quand j’ai eu le tracteur j’avais plus de 40 ans, donc je n’ai pas conduit de tracteur. Mais eux ils  connaissent mieux dans la manipulation de ce matériel. Aujourd’hui c’est essentiellement dans la gestion matérielle et sociale des champs que je peux contribuer.

Quel commentaire faites-vous de la campagne agricole de saison humide qui vient de s’achever

 On n’est même pas encore sorti, puisque les récoltes continuent. Ce que je peux vous dire, du point de vue pluviométrie, il y a eu une très bonne moyenne cette année. Il est vrai que d’une localité à une autre, il n’y a jamais 100 %. Il y a des endroits où il y a eu des inondations, des endroits où les producteurs n’ont pas eu les semis à temps. Mais si on prend la moyenne de cette année, plus de 80 % des des paysans ont pu démarrer la saison comme il le souhaitaient, surtout ceux qui sont dans les zones paisibles.

Le 15 novembre dernier, le Président du Faso a rencontré les acteurs des organisations de la société civile et des partis politiques. A cette rencontre, il a fait savoir qu’il y a des Burkinabè qui se nourrissent de feuilles. Vous en tant que producteur quelle a été votre réaction

Écoutez, je vous informe que moi-même j’ai mangé des feuilles. J’ai vécu cette situation. Lorsque mon père a perdu la vue  alors j’étais jeune, on était à l’étranger au Sénégal et ces feuilles-là moi je les ai mangé. Mais je me disais que ce monde-là était passé. Moi je l’ai fait dans les années 70, si aujourd’hui dans ce monde moderne où on devait avoir tous les moyens pour nourrir l’humain, et au même moment où au Canada ils sont en train de nourrir les animaux avec des grains, c’est vraiment honteux pour nous. Si je dis pitoyable c’est comme si je ne mesure pas cela. Quand je dis honteux je me vois en partie responsable, puisque je suis un leader paysan. Je vous assure que j’ai été fortement touché.

Pendant qu’au Canada les animaux sont nourris avec des grains, au Burkina Faso les hommes mangent des feuilles, c’est honteux.

Qu’est-ce qui n’a pas marché pour qu’on arrive à cette situation

Moi je vais caricaturer en vous disant que c’est une honte politique. Imaginez un pays indépendant il y a 62 ans. Un homme quand il se marie, la première des choses c’est de trouver une maison pour sa femme. C’est une manière de sécuriser cette dernière. C’est vrai l’impérialisme n’avait pas tout donné, mais moi je ne peux pas comprendre que pendant toute la période post-coloniale, on n’ait  pas une armée conséquente, une vision conséquente de développement. Je pense que ce n’est que l’une des conséquences de notre mal gouvernance. J’ai entendu le président dire l’autre jour qu’on est tous responsables. Je suis en partie d’accord parce que plusieurs fois, que ce soit Norbert Zongo que ce soit les grands sociologues, il ressort que quand une situation malheureuse se produit à ta présence, si tu n’es pas l’acteur qui s’est trompé, tu dois être l’acteur  qui aide à corriger la situation.

Alors je dirais que le colon est en partie responsable parce que lui il n’est pas venu pour prier. Ceux qui se sont déplacés c’est eux, ils sont venus vers nous pour chercher quelque chose. Donc, lorsque nous avons demandé les indépendances ça ne leur plaisait pas. ils ont par conséquent fait tout un montage avec beaucoup de nos intellectuels pour qu’on ait pas une vision. Mais par la suite, nous-même nous avons été malhonnêtes entre nous. Moi je ne comprends pas que des intellectuels n’arrivent pas à se comprendre jusqu’à ce que l’opposition est devenu farouche entre eux dans leur nation.  Je sais que dans la tradition africaine, dans le temps, les gens pouvaient être une dizaine ou une vingtaine dans une famille dirigée par un vieux assis à la maison.

La priorité d’abord c’est que la famille mange et que tout le monde soit en sécurité. Si des analphabètes résonnaient comme cela, je ne peux pas comprendre que les gens aillent à l’école et qu’ils ne puissent pas analyser, faire mieux. Et chose qui est aussi importante: dans le pouvoir politique il est socialement obligatoire que tu contribues à la société. Décider de prendre une responsabilité idéologique ou politique c’est ta conscience qui doit te guider. Mais si ta conscience te guide et qu’il y a une faute, que ce soit toi qui l’a commise ou pas, ta position doit être nationale pour réellement contribuer à corriger la faute. Malheureusement, on a constaté que la politique a été essentiellement un gagne-pain. Quelqu’un pourrait me dire que tout cela c’est un montage de la colonisation. Mais écoutez, si on est facile c’est ce qui arrive. Ceux qui n’étaient pas faciles ont été massacrés et c’est le prix à payer. On a eu des braves hommes dans ce pays qui se sont sacrifiés et des braves hommes existent toujours dans notre société.

C’est ceux qui ont pris leurs responsabilités qui ont voulu diriger notre nation qui n’ont pas été assez responsables. Quelqu’un me dirait que “moi je n’ai pas gouverné”.  Tu n’as pas gouverné mais tu as été un homme politique. Alors quelle a été ta contribution? Nous sommes en train de vivre les conséquences de la mal gouvernance, de l’irresponsabilité de tout ce qui est intellectuel. Moi je ne peux pas imaginer que la Chine avec un milliard 500 millions d’habitants puisse discipliner, faire travailler tout le monde, faire manger tout le monde et que nous, nous n’y arrivons pas. Certaines personnes disent qu’il fut un moment en Chine où,  à cause de la pauvreté, ils sont même arrivés à manger la chair humaine. Mais quand ils ont décidé de faire la politique désormais pour sauver l’humain, les 1 milliards 500 millions aujourd’hui ils les ont sauvés. Aujourd’hui si vous allez sur le marché de Ouagadougou ou de Bobo Dioulasso, c’est plus de 80% à 90 % des produits qui viennent de la Chine.

Francois Traoré nous a accueilli à sa résidence, à Ouagadougou. CP: @afriktilgre

Vous dites que cette situation est due à la mauvaise gouvernance. Est-ce que vous vous êtes senti  responsable ? Étant donné que vous avez été leader, notamment président de l’Union Nationale  des Producteurs de coton  du Burkina. Est-ce que vous vous dites que vous aurez dû contribuer à quel que niveau que ce soit pour éviter les difficultés que le Burkina Faso vit.

Ce que je regrette c’est qu’on ne m’a pas écouté. D’abord, j’étais président des producteurs de coton.  L’organisation et l’organigramme même du système j’ai été l’initiateur. Et il fallait que je travaille à convaincre. On était 11e pays producteur africain de coton et nous sommes passés au rang de premier. Certes je ne suis pas le seul à l’avoir fait, car tous les producteurs, les techniciens ont joué leur partition. Mais, je veux dire qu’on peut y arriver. Ma raison de démissionner là-bas en 2010, c’est que dans le système technique le coton se fait en rotation avec le maïs. Le coton lui a preneur, mais pour le maïs les producteurs ne sont pas bien organisés pour bien le vendre. Or quand vous arrivez à vous organiser et à avoir un produit de qualité vous allez attirer l’attention d’un partenaire.

Donc j’ai voulu organiser le secteur du maïs pour que la commercialisation puisse être facilitée. C’est cela qui n’a pas été compris et qui a causé ma démission.  Je veux dire que si on est écouté, je ne suis pas le seul, la réflexion peut être bien mûrie et on pourra s’en sortir. Donc si moi je dois me reprocher quelque chose aujourd’hui, c’est peut-être que je n’ai pas été écouté et ça veut dire que le Burkina faso n’a pas pu bénéficier de notre vision même si elle était bonne.

Voulez-vous dire que le monde rural n’a pas été écouté?

 Bien-sûr le monde rural n’a pas été écouté ! On a des programmes, des projets qui ne collent pas à nos  réalités et qui consomment de l’argent, c’est ça notre problème. Il y a beaucoup d’argent qui est mal orienté, mal utilisé, et on ment dans les rapports qu’on fait. J’ai l’habitude de dire que l’agriculture c’est une science, le mensonge ne marche pas. Le mensonge ne donne pas des résultats, ce n’est pas possible. Je pense qu’il n’y a pas une corrélation entre les actions politiques et techniques en l’agriculture et les réalités de notre pays. Avec 80 % de populations rurales ça ne peut pas s’expliquer. Il y a des pays qui sont à 3 % ou 4 % et qui arrivent à exporter. Si vous faites les statistiques aujourd’hui, vous allez trouver que ce qu’on importe comme alimentation c’est vraiment honteux (ndlr, beaucoup).

Alors que nous avons des avantages : nous n’avons pas de neige ici, il y a de l’eau dans le sous-sol, il y a le soleil et ce soleil c’est de l’énergie. J’ai été en Inde par exemple, quand j’ai vu le système goutte à goutte, mais j’ai failli couler des larmes. Vous allez trouver chez nous on dit qu’on est en train de faire ci ou ça mais ce n’est pas la réalité. On dépense plus qu’on ne réalise.

 Il y a un manque criard d’organisation au sein des différents ministères. Alors qu’il existe des services pour mieux organiser les choses. Par exemple l’armée : si tu t’engages dans l’armée, tu t’engages pour faire la guerre afin de sauver ton pays. Si tu fais toute ta carrière sans faire ce devoir, cela veut dire que tu n’as pas mérité l’argent que tu as pris.

Le gouvernement burkinabè a annoncé au sortir du conseil des ministres du 9 novembre dernier un plan opérationnel pour la saison sèche, vous en tant qu’un averti,  un acteur du domaine agricole, comment avez-vous accueilli cette nouvelle?

Je ne peux que l’accueillir favorablement. Je suis heureux qu’une telle décision soit prise surtout au vu de ce que le président  lui-même a vu et a raconté.  Maintenant, reste à savoir quels sont les outils, qui a contribué, il faut qu’on sache. Même dans une famille quand on veut se développer, ça veut dire qu’on avait des lacunes et si on ne décide pas de corriger ces lacunes, il ne faut pas compter sur l’argent (uniquement, ndlr) pour le faire.

 J’ai entendu un débat un jour au Mali, l’actuel président du Mali dit qu’il veut un Mali “Koura” (un Mali nouveau), ça veut dire que chaque Malien se fait une autocritique, décide de corriger son comportement positivement. C’est le cas chez nous, il n’y a rien d’autre à faire. Les pays africains sont identiques. Et dans cette mondialisation, chaque fois que vous faites complaisance et que vous ne prenez pas le bon chemin, sachez qu’il y a des gens qui analysent et qui y voient une opportunité. Pour moi, les 10 milliards c’est une bonne décision. Il le fallait au bon moment parce que les récoltes tirent vers la fin, et bientôt ce sera la campagne de contre saison. Certains ont même commencé. Il faut seulement bien orienter cet argent, afin qu’il aide l’action des producteurs.

J’accueille positivement le plan opérationnel d’appui à la campagne agricole de saison sèche.

Le plan du gouvernement prévoit la mise en place de périmètres irrigués. Nous savons que des périmètres irrigués sont aménagés chaque année, mais le problème de sécurité alimentaire se pose toujours. Pour vous qu’est ce qu’il faut faire au juste.

Je vais vous faire une caricature qui n’est pas sûrement la bonne. Nos parents ont été déportés aux États Unis comme esclaves.  Ils ont été obligés de travailler dur là-bas. Et je suis sûr, j’ai été plusieurs fois aux États Unis, que leur contribution a été très puissante pour le développement de ce pays. Est-ce que c’est quand le noir est esclave qu’il travaille beaucoup ? s’il réfléchit de lui-même, il ne peut pas être conscient qu’il doit faire des résultats, qu’il ne doit pas se flatter ? Moi je pense qu’on se flatte souvent en utilisant l’argent là où on ne doit pas l’utiliser. Sankara nous a dit ici qu’il faut mettre l’homme qu’il faut à la place qu’il faut. Vous savez,  quand on est chef de service on doit savoir, sur telle activité, qui mettre pour que ce qui a été prévu soit bien appliqué. Cette dignité, il y a des gens qui l’ont mais ils ne vont pas avoir la place. Lorsqu’il y a un projet c’est plutôt les propos du genre, il ne  faut pas m’oublier, il ne faut pas oublier tes  parents,  il faut me donner une porte de sortie etc. Quand c’est comme cela, ça ne marche pas. S’il y a un projet et moi qui suis le chef, si je mets quelqu’un là-bas, si ce dernier part que ça ne réussit pas je mets ma propre tête en jeu, s’il n’y a pas de résultats je quitte.

Est-ce que les gens sont à ce niveau-là? On se plaît à raconter des mensonges sur les papiers. C’est d’ailleurs très facile de justifier un échec ou de mentir sur les papiers. Si vous voyagez, vous partez dans certains endroits vous allez voir des forages et des châteaux en brousse et on ne fait rien là-bas. Lorsque le projet est arrivé, celui qui devrait l’avoir, on ne lui a pas donné. Les grands ont partagé l’argent du projet entre eux. Écoutez, l’agriculture, si tu n’es pas quelqu’un qui a décidé réellement de la pratiquer et que tu téléphones pour suivre l’évolution de ton champ, ça ne peut pas réussir. Bon nombre d’échecs sont dus à ces pratiques.

Aujourd’hui lorsque vous entendez “jeunesse burkinabè et agriculture” qu’est-ce que cela vous inspire.

Jeunesse burkinabè et agriculture c’est une opportunité mal conduite, parce que dans notre système éducatif, on a marginalisé l’agriculture.  Je ne sais pas si à votre temps on vous a dit la même chose, à notre époque on nous disait “Si tu n’apprends pas tes leçons, si tu ne vas pas à l’école, si tu n’as pas la moyenne, on va t’amener cultiver.”, comme si c’était une punition. Alors que c’est un métier qui nourrit son homme. C’est l’un des signes de la civilisation humaine. Donc dans l’instruction ça été faussé. Aussi, dans l’éducation familiale ça commence à s’effriter parce que l’enfant n’est plus éduqué que par sa famille.

J’ai toujours dit qu’être dirigeant ce n’est pas une obligation. Si moi je sais que je ne peux pas avoir des résultats je fous le camp. Mais chez nous, la responsabilité et les résultats ne sont pas liés. Le  problème il est là. Les jeunes ont la vivacité. Ils ont l’énergie mentale et l’énergie physique, mais il faut qu’on réfléchisse à les mettre à contribution dans leur éducation pour qu’ils sachent que ces deux valeurs qu’ils ont peuvent s’effriter. Ma maman disait au sujet de la force physique, que tu l’utilises ou pas, à un moment donné elle ne te demandera pas avant de partir. La faute, pour moi, elle incombe aux adultes que nous sommes et particulièrement les politiques, puisque la politique était limitée dans l’histoire soit dans la famille soit dans le village.

Aujourd’hui elle est au niveau national. On doit donc avoir une orientation et une discipline. Si on dit Burkinabè intègre, on doit le sentir dans son comportement.

Comment l’armée peut travailler en synergie avec la population pour sécuriser les zones de production et en même temps booster la production.

Justement ça c’est un point très important. Selon moi, je ne suis pas un militaire je peux donc me tromper, on a pas mis dans la philosophie de l’armée, le lien entre être un militaire et la société. Un militaire c’est un homme physiquement bien formé. Je note que c’est le déséquilibre de la société qui amène la guerre, c’est-à-dire quand il y en a qui mangent et d’autres ne mangent pas,  il y aura forcément déséquilibre. Ce qui conduit à la mésentente et c’est cette mésentente  qui amène les affrontements. Moi je pense que on peut mettre, dans la formation militaire, en relation le militaire et la société. Pour qu’il sache que ce n’est pas que la guerre qui permettra qu’il contribue à changer cette société. Il doit avoir une discipline qui doit le mettre en relation avec la société, pour qu’il soit utile pour la société. Sinon les hommes de corps à certains endroits, lorsqu’on les voit on a même peur d’eux. Comme s’ils ne sont pas là pour nous. Ce lien là, on peut le retisser et on est obligé de le retisser.

Vous n’allez pas me dire que dans un village qui était un village guerrier, que les combattants ne cultivaient pas en période de paix. Au contraire dans les champs ils étaient parmi les meilleurs. Ils se disaient, mais attention faut que nous cultivons pour qu’en cas de guerre si nous partons, nos enfants et nos femmes aient à manger. La première guerre c’est la sécurité alimentaire, la deuxième c’est la cohésion de la société. C’est quand ces deux-là s’effritent qu’il y a guerre. Et nos ancêtres l’avaient compris.

On a vu qu’au temps de la révolution avec Thomas Sankara, il a réussi quand même à résoudre ce problème de l’insécurité alimentaire. Comment peut-on s’inspirer de cette expérience pour avoir un bon résultat.

Je vais vous dire que Thomas Sankara avec son groupe, leur  philosophie c’était de sauver le Burkina Faso. Qui voulait travailler avec lui devait avoir ça permanenment dans sa tête. Il n’y avait pas de couche supérieure ou inférieure pour lui. Il a trouvé des situations qui n’étaient pas bonnes, il a voulu que ce soit équilibré forcément. Il a compris que tous les domaines font partie du développement ou de l’insécurité. Même le problème de l’habitat il a voulu le régler.  Aujourd’hui pensez-vous que l’habitat n’est pas une bombe à retardement au Burkina Faso ? Il a voulu toucher à tout.

Le capitaine Traoré, aujourd’hui il vient, au lieu de profiter des salaires qui étaient déjà augmentés par l’ancien gouvernement il dit non, il va conserver son salaire de capitaine. Lorsqu’il dit “la patrie ou la mort, nous vaincrons” et aussi lorsqu’il dit avoir marché dans le désert et vu des gens qui mangeaient des feuilles, ce n’est pas Thomas Sankara qui l’a vu. Il relate ce qu’il a vécu. Il est un humain sentimental. Et je sais que c’est quelqu’un dont Thomas Sankara aurait voulu.  J’espère que vous la jeunesse vous ne mettrez pas du temps à le comprendre et à l’accompagner. Parce que c’est un leader mal compris qui échoue. Lorsqu’un leader est compris de la même manière, au bon moment et que chacun contribue, il n’y a pas de raison qu’il échoue. Les leaders qu’on cite dans les grands pays ne valent pas mieux que nos leaders.

Vous avez vécu la période de la révolution Sankariste, justement à ce moment comment l’armée travaillait avec les populations et de manière particulière avec les producteurs, afin de booster les rendements agricoles.

Vous savez, en 2016 j’ai fait un débat sur une chaine de télévision de la place. J’avais dit qu’il y a un manque de confiance entre nos hommes du corps et la société. Et j’avais dit que si on travaille à mettre la confiance entre les hommes de corps et la société, ça pouvait contribuer à avoir une symbiose dans la lutte contre l’insécurité.

Thomas Sankara avait compris ça. Par exemple les CDR ( ndlr, Comité de Défense de la Révolution), ils étaient des hommes à tout faire. Le social ils géraient, l’insécurité ils en faisaient partie sans oublier le développement. A cette époque, le lien entre les militaires et les CDR était bien soudé. Malheureusement pour nous, ce pouvoir n’a pas duré.  Cependant il avait déjà proposé un chemin, par des actes, qui a fait que même aujourd’hui on continue de le percevoir. Aujourd’hui on sait qu’on a eu une période de laissez-aller et ce sont les conséquences de ce laissez-aller que nous voyons actuellement.

Vous en tant que paysan leader, parce que vous avez été président de l’Union Nationale des Producteurs de Coton du Burkina, au niveau continental vous avez également occupé des responsabilités, comme la présidence de  l’association des producteurs de coton africain. Quel peut être votre contribution dans la réussite du plan opérationnel d’appui à la campagne agricole de saison sèche 2022-2023

Je suis en train de contribuer déjà à travers cette interview. Vous m’avez contacté hier et j’ai accepté de vous recevoir pour parler de ce domaine. Il y a des choses que je dis ici qui peuvent me coûter cher, c’est ma façon de me sacrifier. L’autre chose c’est que moi je suis un acteur de terrain. La jeunesse dont on parle, si moi je me mets devant les jeunes, comment les galvaniser je connais et tout le monde le sait. Mon défaut c’est que si je suis devant une autorité qui ne fait pas ce qu’il faut, je vais lui dire la vérité. C’est pourquoi je suis capable de dire devant un responsable ça ne se fait pas comme ci, je pense que ça doit se faire comme ça. Je ne suis pourtant  pas un indiscipliné. J’ai une manière de parler pour que tu saches que moi j’ai un rôle à jouer.

L’organisation du monde paysan, tout le monde sait ce que j’ai fait. Depuis 1980 je suis dans des organisations paysannes. Mais, mauvaises traces derrière moi, je ne pense pas qu’il y en a beaucoup. Je sais comment permettre à ce que les paysans partagent leurs expériences et leurs forces. Par exemple, si sur une plaine les paysans ne partagent pas leurs expériences, ne s’entendent pas, ça ne peut pas marcher. Tant que je vis, je suis disponible à accompagner la jeunesse et accompagner toute autorité qui voudrait que je donne mon avis par rapport à ce qu’il fait.

Tant que je vis, je suis disponible à accompagner la jeunesse.

Parlons des personnes déplacées internes (PDI). Ne pensez-vous pas qu’il faut les accompagner afin qu’elles puissent produire eux-mêmes leur propre nourriture, au lieu de compter sur l’aide humanitaire.

Je vais peut-être vous contredire, mais la première priorité pour moi c’est qu’ils retournent chez eux. Qu’on se batte pour qu’ils aient l’opportunité de retourner chez eux. S’il y a un choix à faire, ça fait partie de mes choix.

Mais ça ne se fait pas par un coup de baguette magique. Pendant qu’ils sont là, j’ai honte. Si vous vous promenez à Ouagadougou, vous allez voir une femme avec 5 enfants, un enfant au dos en train de quémander. Ça peut aller jusqu’à quand dans une société qui se respecte? Les gens parlent de droit de l’homme, ces cinq enfants qui sont arrêtés au soleil avec leur maman toute la journée, ils sont où, il ne voient pas? 

Pour répondre à votre question, moi je préférerais que ceux-ci, au lieu d’être des mendiants et leurs enfants des futurs délinquants et des futurs rebelles, qu’on les oriente dans l’éducation ou dans des activités qui peuvent leur permettre d’obtenir quelque chose de leurs dix doigts. Les aides (ndlr, matérielles)  n’ont jamais réussi à faire quelque chose. Les hommes ont plutôt besoin d’aide mentale. Sinon les aides matérielles ne fabriquent que des escrocs si je veux exagérer.

Retrouvez un résumé de l’entretien sur Afriktilgre Tv.

Etes-vous confiant quant à la capacité du Capitaine Ibrahim Traoré de relever les défis qui se présentent à lui.  

Le Burkina Faso n’est pas que pour le capitaine Traoré. Il a quand même fait senti sa volonté de se sacrifier. D’abord il pouvait décider de sauver sa peau en restant quelque part sans aller à la guerre, quitte à ce qu’on termine le Burkina Faso. Mais il était sur le terrain. Il quitte ensuite le terrain pour prendre le pouvoir en se disant, moi je veux que notre manière de diriger le pays change. Maintenant il faut que toutes les mauvaises habitudes que nous avions changent: dans le milieu intellectuel, dans le milieu rural… Cette façon de profiter des autres qu’on avait, aidons-nous à corriger ça. Sinon, le capitaine Traoré seul ne peut pas faire ça.

Quels sont vos souhaits en cette fin de saison humide qui rime avec la fin de l’année.

En cette fin d’année, je souhaite  la sécurité, je souhaite que la guerre finisse, première chose. Deuxième chose, avec les difficultés que les producteurs ont connu à cause de la crise Ukrainienne et le COVID-19 (ndlr, difficultés d’approvisionnement en intrants agricoles), je souhaite qu’on réfléchisse dès maintenant aux activités que nous pouvons mener au cours de la saison sèche. Qu’on ne fasse pas du semblant. Que ce qu’on dit, on le fasse réellement, qu’on cherche vraiment les résultats. Qu’on ne cherche pas à consommer les 10 milliards. Parce qu’il y a des 10 milliards qui ont été consommés ici sans que la poule même ne bouge sur ses œufs. Les 10 milliards annoncés peuvent être consommés, mais ça peut également faire l’exception.

Moi je souhaite que ce pouvoir fasse l’exception dans le changement de paradigme. L’intégrité ne peut pas être une peinture sur les hommes. Elle doit être dans le cœur et dans le comportement quotidien. C’est ce qui peut nous amener à la sécurité alimentaire, à la souveraineté alimentaire. Je veux la fin de l’insécurité alimentaire, je veux le développement, je veux que le paysan vive comme n’importe quel fonctionnaire, et cela est possible. Au Canada le cultivateur n’a rien à envier au fonctionnaire. Sachez que s’il n’y avait rien de profitable chez nous, les occidentaux n’allaient pas traverser l’océan pour venir ici. Il faut que nous-nous donnions les mains pour que nos populations profitent de toutes ces richesses.  Il faut également que le monde extérieur soit des partenaires qui nous respectent, et que nous ne soyons pas des bénis oui-oui.

Propos recueillis par Sougrinoma Ismaël GANSORE et Adrien Djiguemde

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